3 Juillet 2018
"On était si puissants que le pays a tremblé comme jamais auparavant. Les gens nous craignaient alors que tout ce qu'on voulait, c'était l'égalité. La paix, enfin. C'est pour ça qu'on s'est unis. Organisés. On avait nos codes, notre langage, notre journal, notre musique, notre cinéma, notre look, nos penseurs, nos cliniques, notre capitale, notre président, nos ministres, notre indépendance.
On était noirs. /On était libres. /On était les Black Panthers."
Playlist fournie par l'auteur, ici. Mon choix à moi, un hommage à MLK, ici.
« Ici, comme dans les autres ghettos, pas d'artifice à la Marilyn, ni de mythe à la Kennedy. Ici, c'est la réalité. Celle qui macère, mendie et crève. » 1965. Enlisés au Vietnam, les États-Unis traversent une crise sans précédent : manifestations, émeutes, explosion des violences policières. Vingt millions d'Afro-Américains sont chaque jour livrés à eux-mêmes, discriminés, harcelés. Après l'assassinat de Malcolm X, la communauté noire se déchire entre la haine et la non-violence prônée par Martin Luther King, quand surgit le Black Panther Party : l'organisation défie l'Amérique raciste, armant ses milliers de militants et subvenant aux besoins des ghettos. Une véritable révolution se profile. Le gouvernement déclare alors la guerre aux Black Panthers, une guerre impitoyable qui va bouleverser (des) vies.
Power. Tellement. Power of the words, d'abord. Chaque mot est une claque, chaque phrase un uppercut. Sans grandiloquence mais avec une puissance émotionnelle très forte, Michaël Mention raconte, les émeutes de Watts, l’assassinat de Malcom X, la colère qui gronde, les #balancetonporc de quand les porcs n'étaient encore "que" des flics racistes (pig! pig! pig!), le ghetto qui vibre, James Brown et Bob Dylan, le traumatisme du Vietnam, l'envie, l'entraide, la solidarité, la drogue, les combats, la déchéance, la naissance de ce Black Panther Party que l'on connait tous, mais si peu, et si mal. Mots en musique, ou musique des mots, allez savoir, tant les deux s’entremêlent. Le cœur battant. Rien de grave. Juste une étrange sensation, faite d'espoir et de conviction : l'Histoire.
Power of History, donc. Des leaders noirs aux frères Kennedy, d'Angelina Davis à Sharon Tate, du tueur du Zodiaque à Charles Manson, du projet Cointelpro du FBI aux patrouilles de surveillance de la police, de Free Huey au Ten-point program, c'est tout un pan de l'histoire des Etats-Unis que nous raconte Michaël Mention. Avec conviction, force et pudeur, presque avec retenue, parce que les faits se suffissent à eux-mêmes, tour à tour hallucinants, durs, tragiques ou remplis d'espoir. Quand on pense à Rodney King, quand on pense à #blacklivesmatter, quand on pense à Stephon Clark, abattu de huit balles dans le dos, dans le jardin de sa grand-mère en mars dernier, quand on pense à l'autre taré aux cheveux orange, au retour en force du KKK, quand on pense à tout ça, on ne peut que prendre conscience de ce qu'a initié le BPP : un engagement, des yeux grands ouverts, des mains armées (et pour le coup, mon regard de petite blanche européenne a sans doute biaisé ma lecture de certains passages) certes, mais des mains qui se serrent, qui donnent à manger, qui scandent que l'éducation peut changer le monde, des mains qui aujourd'hui brandissent encore des pancartes, pour un combat qui est loin d'être fini. What we want?
Power of the characters, enfin. What we believe. Véritable roman choral, la seconde partie de Power fait entendre la voix de Charlène, jeune recrue du BPP, celle de Tyrone, ex-taulard-taupe du FBI et celle de Neil, un policier blanc. Trois voix et trois regards pour une seule histoire. Pour l'Histoire.
Un roman a la hauteur de son sujet. Fort et beau. Et indispensable.