24 Août 2018
"Les histoires sont les choses les plus sauvages de toutes. Les histoires chassent et griffent et mordent". (Quelques minutes après minuit, Patrick Ness.) "
Kansas, un été plus chaud qu’à l’ordinaire.
Une décapotable rouge fonce sur l’Interstate. Du sang coule dans un abattoir désaffecté. Une présence terrifiante sort de l’ombre. Des adolescents veulent changer de vie. Des hurlements s’échappent d’une cave. Des rêves de gloire naissent, d’autres se brisent.
(...)
J'avais dix ans, en lisant Helena. J'avais dix ans et j'avais peur de l'ogre, tellement. J'avais peur du vent qui fait trembler les épis de blé, des caves et des clubs de golf, du dragon et des corbeaux, et de la menace, celle qui rôde, prête à fondre sur les petits enfants pour leur arracher leur innocence. J'étais Tommy, Cindy, Jeffrey. J'avais froid, j'avais peur, j'étais seule, je voulais ma maman. Et puis j'avais cette boule, là, en tournant les pages, cette sensation au creux du ventre (et parfois de la gorge, à la limite de la nausée), comme un chatouillis, un grondement, un truc pas trop agréable, mais quand même, un truc qui nous fait nous sentir vivants, qui vibre à l'intérieur de nous, et qui se prolonge tard la nuit, quand les yeux grands ouverts, on se surprend à guetter le moindre craquement ou la moindre respiration, les pieds bien sous la couverture, on ne sait jamais.
J'avais vingt ans en lisant Helena. J'avais vingt ans et des envies plein la tête, des envies de victoire et de New-York. J'étais amoureuse. J'étais heureuse, je crois. J'aimais la fête et ses dérives, mes amis et mon existence, et l'idée folle d'avoir toute la vie devant moi. J'étais Hayley, Graham, Nathan, Amber et Glenn. Et j'ai été foudroyée par cette vie, cette chienne indocile qui fait voler en éclats les espoirs et les rêves. Mais j'ai relevé la tête, pour essayer encore.
J'avais trente ans, en lisant Helena. J'avais trente ans et j'étais à la fois sagesse et folie, désespérance et espoir, instinct, louve et hyène. J'étais l'amour infini. J'étais Norma, Helena et Alma, et j'en ai pleuré. Fort. Et j'y pense, encore et encore.
J'avais cent ans, en lisant Helena. J'avais cent ans, mille ans, j'étais la mémoire des pierres, ces maisons qui ont une âme, les champs et le bord du lac. J'étais le Kansas. J'étais l'atmosphère si particulière de ce roman, aussi poisseuse et électrique que cet été-là, aussi violente, aussi dingue, aussi forte. Et aussi belle. Aussi belle qu'Helena.
Je sais que vous avez peur. Mais fermez un peu les yeux, respirez un grand coup, et lancez-vous. Vous n'en sortirez pas indemne, c'est vrai, vous serez secoué, un peu vaseux, un peu déchiré de l'intérieur. Un peu changé. Et c'est ça, la marque d'un grand roman.
Une lecture que j'ai eu le plaisir de partager avec Noukette <3