"Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux" (Jules Renard)
21 Septembre 2018
"Etre adulte, c’est précisément savoir qu’il existait d’autres forces que le grand amour et toutes ces foutaises qui remplissaient les magazines, aller bien, vivre ses passions, réussir comme des malades. Il y avait aussi le temps, la mort, la guerre inlassable que vous faisait la vie. Le couple, c’était ce canot de sauvetage sur le rebord de l’abîme."
Août 1992. Une vallée perdue quelque part dans l’Est, des hauts-fourneaux qui ne brûlent plus, un lac, un après-midi de canicule. Anthony a quatorze ans, et avec son cousin, pour tuer l’ennui, il décide de voler un canoë et d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus. Au bout, ce sera pour Anthony le premier amour, le premier été, celui qui décide de toute la suite.
Il faut bien que tout commence... C'est vrai, mais pour autant, faut-il piétiner ce qui fut? En son temps, j'avais été plus que dérangée par "En finir avec Eddy Bellegueule", vous vous souvenez? Par cette façon de cracher dans la soupe, fusse-t-elle insipide ou trop salée, de conspuer son enfance, ses parents, ses origines et sa région, sans distinction, ni nuance... Je viens d'un milieu modeste, moi aussi, et ce n'est ni une tare, ni un fardeau. Je conçois que cela puisse l'être, néanmoins, entendons-nous, mais un petit quelque chose en moi se réveille toujours et s'agite quand je lis un roman (ou juste certains passages, comme ici) dans lequel l'auteur tire à bout portant sur sa propre histoire. Après, dans Leurs enfants après eux, on est loin de la violence et du mépris d'Edouard Louis. Et, je dois bien l'admettre, les images choisies résonnent, je les trouve justes et sincères, peut-être parfois un fifrelin (:p) méprisantes, et là réside mon unique bémol concernant le roman. Voilà, c'est dit.
Quant au reste, ce roman, n'en déplaise à sa quatrième peu vendeuse, ce roman est un petit condensé de tout ce que j'aime en littérature. Un style, d'abord. Ou plutôt une voix. Celle de l'enfance qui fout le camp, une voix qui mue, qui change, qui tâtonne et qui se heurte aux murs de la chambre. Car chaque chambre est toujours trop petite pour l'adolescence qui fracasse tout. Quatre étés, quatre personnages, quatre vies. Une même voix. Forte et belle.
Un engagement, ensuite. La fumée disparue des hauts fourneaux, les usines qui donnent autant de travail que de cancers, les vies semblables aux pavillons qui les abritent, mornes, ternes, tristes. Les parents? Plus la force de l'espoir, non. Les enfants? L'envie de s'extraire, de partir, de devenir orphelins volontaires, eux aussi. Le désir. Sexuel, évidemment, mais aussi libido, énergie vitale, celle qui sera nécessaire pour devenir ce que l'on devient tous, tôt ou tard, plus ou moins bien : un adulte. Des études à Paris, un séjour au bled, la légion, l'installation en couple avec écran plasma et petit chienchien à sa mémère, peu importe. Essayer. Et oser le dire. Et oser. Tout court.
Une ambiance aussi. Terriblement remember the 90's pour moi qui ai été ado dans ces années-là. Le t-shirt Waikiki, le petit Grégory, Kurtforever<3 (devinez ce que j'écoute en écrivant ce billet?), puis cette langueur des étés moites, ceux d'avant les portables et d'avant ces réseaux "sociaux" qui désocialisent, quand on y pense. Une atmosphère, un décor, un univers MTV depuis longtemps disparu, à la fois universel et intime, factuel et intemporel. Humain, en fait. Leurs enfants après eux, malgré tout, au-delà de tout, c'est un roman profondément humain. Et rien que ça, c'est déjà beaucoup.