15 Octobre 2018
"La fine st toujours la même. C'est inexorable. On se retrouve seul. On retombe, écrasé, poisseux, vide. Aveuglé ou trop lucide, ce qui revient au même. On se sent lourd. Des coulées de plomb à la place du sang. On crache des yeux. On pue la mort. Le cœur est faible. On sent sa peau vieillir, se déchirer, craquer de toute part. La vérité est vomie hors de soi, comme de la merde."
« Il essaie de se souvenir des jours précédents, des autres proies, de leurs visages vidés par l’imminence de la mort, de leur odeur, leur odeur de lait et de méthane, de leur tétanie. Rien n’émerge. Jamais. Et c’est bien pourquoi il va recommencer… »
Un huis clos tragique, entre les bourreaux et la victime, où chacun finit par vaciller.
Elle a ouvert le livre. Elle ne sait plus trop pourquoi, d'ailleurs. Elle l'a pris sur les conseils du barbu, pas le méchant, non, le journaliste. Celui des mauvais genres. Elle ne sait plus trop à quoi s'attendre non plus, elle a un peu oublié ce qu'il en a dit. Puis ça arrive. Comme un coup de poing dans ventre. Comme une gifle. Comme un souffle qui balaie tout. Elle ne peut plus respirer. Elle est la proie. Elle demande Pourquoi vous faite ça?, elle aussi. Elle ferme les yeux. Très fort. Et elle pense "pas le bébé, pitié, pas le bébé". Mais elle sait. Comme le Elle du livre, elle sait. Qu'elle n'est rien. Personne. Une sensation pénible. Une déchirure. Une béance avec un arrière goût d'effroi. Elle sait que tout espoir est vain et que l'insoutenable est là. Qu'elle n'a pas le choix. Alors elle continue. Et elle devient lui. Le bourreau. L'asiatique. Le tordu. L'obsédé. Elle plonge dans l'horreur. A l'intérieur même du pire cauchemar. Et par dessus son épaule, elle lit. Le carnet de l'autre. Le bourreau, le vrai. C'est insoutenable. Elle voudrait arrêter, mais elle ne peut pas. Parce que c'est écrit avec des tripes. Et qu'elle aime ça, enfin, elle croit. Parce que c'est écrit, tout court. Et qu'on ne peut plus fermer les yeux. Alors, elle lit. Jusqu'au bout. Du texte et de l'horreur. Et quand elle a fini, elle pose le livre, elle ferme les yeux. Encore. Encore plus fort. Et elle se dit que, quelque part, quelque chose s'est brisé. Et que c'est ça, aussi, la littérature. Le barbu avait raison.