La Fée Lit

"Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux" (Jules Renard)

"La Gifle", Christos Tsiolkas

"La Gifle", Christos Tsiolkas

"Voilà ce qu'étaient finalement l'amour, son allure, son essence, une fois disparus la luxure, l'extase, le danger, l'aventure. Il reposait avant tout sur la négociation, sur deux individus qui acceptent les réalités sales, banales, et domestiques d'une vie partagée. Cet amour-là assurait une forme de bonheur familier. Toute alternative était probablement impossible, inaccessible, et il valait mieux renoncer à l'inconnu."

Je pourrais la jouer métaphore filée et vous expliquer que ce roman australien (oui, écrit par un Grec, figurez-vous qu'il y a beaucoup de Grecs en Australie - c'était l'info culturelle du jour, bonjour) est une véritable claque dans la tronche tant il sonne juste et frappe là où ça fait mal, genre ça, quoi,

"La Gifle", Christos Tsiolkas

Je pourrais aussi vous expliquer que c'est ma collègue Sophie ( oui, Sophie, Sophie et Sophie, toujours très sympa en salle des profs  ) qui me l'a conseillé en m'entendant parler du Dîner de Koch qui me sert de point de départ à un débat en classe ( et en effet, la problématique de base de La Gifle pourrait lui aussi le devenir) (merci Sophie!). Je pourrais aussi tenter de vous résumer le pitch de ce roman choral ( vous ai-je déjà dit combien j'aimais les romans choraux?) mais j'ai mieux. Oui, mieux. Parce que, figurez-vous, La Gifle a fait l'objet d'une adaptation en série-télé, extrêmement fidèle au roman pour ce que j'en ai vu, et dont le trailer à lui seul vous donne une vue d'ensemble parfaite de tout ce qu'évoque, aborde, ébauche ou développe ( c'est selon) Tsiolkas. 

Vous l'avez sans doute compris, la gifle donnée à un sale gamin pourri gâté enfant par un adulte "étranger" ( dans tous les sens du terme) est le point de départ de ces 594 pages. Chacun choisit son camp (enfin plus ou moins) chacun défend sa position (enfin plus ou moins), mais ce qui est certain c'est que les masques tombent, les apparences volent en éclats. Plus rien ne sera comme avant, jamais. C'est une déferlante de rancœur, de frustration, de découverte de soi, un tsunami d'émotions ( pour les personnages et pour nous) que rien ne peut endiguer. En fait, oui, bah il faut bien le dire même si c'est cliché : ce livre est une gifle

D'abord, simplement, parce qu'il nous met face à une situation hypothétiquement plausible dans laquelle il est impossible  de ne pas se projeter. "Et moi, qu'aurais-je fait? L'aurais-je fait? Qu'aurais-je dit? A qui? Pourquoi?" On est tour à tour chaque mère de famille, chaque femme, chaque personnage, on se retrouve un peu, parfois beaucoup, on se fait peur aussi  ( "ah merde, moi aussi je..."), Après la gifle, il y eut comme un écho . Après la lecture du roman aussi. 

Ensuite, parce qu'avec ce roman polyphonique, Tsiolkas dresse une formidable galerie de portaits. En variant l'âge, le sexe, l'origine et le statut social de chacun, l'auteur nous donne à  lire des chapitres quasi indépendants, avec comme point de départ unique le barbecue où tout est parti en cacahuète mais surtout avec  comme fil conducteur l'humanité. Ces hommes, ces femmes, vieux ou jeunes, étrangers ou non sont tous humains, trop humains  ( coucou Nietzsche), On ne sait plus si on les aime ou si ils nous agacent, on passe par une myriade de ressentis assez phénoménale. Le couple mixte formé par Hector et Aisha, tellement beau sur papier mais dont le vernis s'écaille au fil des pages, Connie, la jeune ado qui aime les animaux et les hommes plus âgés, Anouk,  femme libérée (   tu sais c'est pas si facile  ) , Rosie, bobo post hippie allaitante (très) longue durée mariée à un alcoolique soumis/déprimé, Manolis et Koula, vieux réacs qui se volent dans les les plumes à longueur de journée, Harry,  beauf plein aux as, et Richie , grand échalas pas encore adulte qui se cherche et risque bien de se trouver, chacun à tour de rôle nous ouvre la porte de son univers, avec ses certitudes et ses failles, ses doutes et ses aspérités. Et à chaque fois, paf, dans nos tronches.

Enfin ( vous remarquerez la parfaite structure argumentative de ce billet, servie par des connecteurs logiques dignes de mes élèves ), enfin, donc, plus encore que les individualités propres à chaque chapitre, ce sont des thèmes universaux qu'aborde Tsiolkas, de l'homosexualité aux femmes cougars, de la culpabilité à l'adultère, de l'éducation ( et l'amour) des enfants au racisme, des dérives du libéralisme à l'intégration, tout est passé à la moulinette. C'est cru, violent, audacieux, sans concession, c'est plein de 

(enfin, un peu moins de rock and roll, mais j'aimais trop l'image). C'est terrible, en fait. Vraiment, vraiment, vrai-ment.

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R
Bon alors moi celui là m'est tombé des mains, j'aimais bien le point de départ mais pas du tout l'écriture trash pour tous les personnages, alors qu'ils n'ont pas tous la même personnalité.<br /> Par contre j'ai beaucoup aimé Le dîner, et je suis curieuse de savoir comment tu l'utilises avec des élèves ? Tu le fais avec quel niveau, et tu travailles sur quoi, fond, forme, les 2 ? Ca m'intrigue !
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C
Bon et bien j'ai tellement aimé ton billet que je vais me le commander en rentrant !
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L
Et toi qui aimes les séries tu risques bien de craquer doublement! Profite bien du soleil!
J
Ton billet me donne envie pour le côté choral, la galerie de portraits, les thèmes abordés .... mais les mots &quot;cru, violent&quot; me font hésiter ...:-)
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L
Disons qu il y a du sexe (beaucoup) et de la drogue ( beaucoup) mais ce n est pas trash pour la cause...
M
Ca rappellerait bien aussi &quot;Villa avec piscine&quot; du même Kosh tiens !
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L
Je n ai pas lu celui-là, il est aussi bien que &quot; le dîner&quot;?