La Fée Lit

"Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux" (Jules Renard)

"Avenue des géants", Marc Dugain

"Avenue des géants", Marc Dugain

"There's a killer on the road, his brain is squirming like a toad" (The Doors). Parfaite bande-son pour ce billet, cliquez si vous voulez être dans l'ambiance.

Il faut bien que je me rendre à l'évidence, à la double évidence, même. L'immersion dans la tête d'un tueur en série, ce n'est décidément pas ma tasse de thé : Au-delà du mal ne m'avait pas emballée (voir ici) et j'ai mis Zombie ( Oates pourtant) de côté parce que "je n'y arrivais pas". Quant à la fictionnalisation d'un fait divers ou d'un cas réel, à part Petite soeur mon amour ( Oates, encore), elle m'a toujours fait le même effet : un désagréablement sentiment de voyeurisme mêle à une gêne sourde, généralement liée à l'empathie, si ce n'est la sympathie, de l'auteur envers son sujet. Si Emmanuel Carrère m'a mise mal à l'aise avec L'adversaire, Nicolas Jones- Gorlin m'a littéralement donné envie de vomir avec Rose Bonbon, que je n'ai pas pu terminer ( d'ailleurs, la lecture du début de ce roman truc dégueulasse a été le pire moment de ma vie de lectrice ( et de mère, et de femme, et d'être humain, même, c'est dire....). Puisque Avenue des Géants appartient à ces deux catégories à la fois, c'était un pari risqué que de m' y frotter, mais le pitch m'avait séduite, la couverture et le titre encore plus. Verdict? C'est en effet un très bon livre, mais un très bon livre qui m'a ennuyée prodigieusement.

C'est l'histoire d' Al Kenner, un géant de 2.20 mètres pour 140 kg, un QI supérieur à celui d'Einstein. C'est l'histoire d' Al Kenner, un tueur en série qui débute sa macabre carrière par le meurtre de ses grands-parents, pour la terminer dans une prison d'état, à lire à voix haute des livres destinés aux aveugles, avec pour unique interlocutrice une ancienne hippie pas aussi désintéressée que ce que l'on pourrait croire. Et entre les deux?

Entre les deux, c'est l'Histoire américaine des années 60 que nous raconte Dugain, et avec talent. Le Vietnam et ses retombées, le mouvement hippie avec sa dose de chevelus prônant l'amour libre, l' assassinat de Kennedy, tout cela sert de toile de fond au roman. J'ai aimé cette réflexion, qui mêle passé et présent, cette plume acérée qui nous raconte que le seul tort d’Orwell c’était de croire que le totalitarisme prendrait un visage terrifiant. Oh non ! Rien de tout cela, pour autant que vous acceptiez la petite musique mièvre des réseaux sociaux, que vous acceptiez l’obsolescence de tout ce que vous achetez au bout d’un an, que Sisyphe n’ait pour tout repos que la période des soldes, que Google sache tout de vous et puisse éventuellement le monnayer aux flics, qu’on puisse vous localiser à tout instant avec votre téléphone, vous ne risquez rien. Plus encore, c'est l'atmosphère des golden sixteen qui teinte le texte d'une certaine nostalgie, comme une photo en noir et blanc un peu jaunie mais qui fait encore rêver. Enfin, ça, c'était avant Al Kenner.

Dans une narration alternée du plus bel effet (conversation avec sa visiteuse pénitentiaire vs flash back) on découvre l' origine du mal qui ronge notre héros personnage principal : sa mère (ben oui, vous ne le saviez pas encore que c'est toujours la faute des mamans?), Enfin, sa mère, c'est vite dit, sa génitrice plutôt, celle qui affirme : Je suis la première femme à avoir fait une fausse couche menée à son terme. C'est joliment tourné, certes, mais ça a de quoi vous perturber le plus normal des gamins. Et sa mère, Al, il ne va réussir à s'en débarrasser ( même symboliquement) ; ils vont jouer au sale petit jeu presque pervers du "jamais sans toi jamais avec toi" qui ne pourra se terminer que de façon dramatique. Ce livre, c'est celui que Al n'a pas écrit (ou peut-être que si, finalement....), c'est à la fois sa confession et sa façon de se dédouaner, c'est un je omniprésent, qui dérange autant qu'il émeut. Et là, ça coince. Q'un sérial killer ( clic. Pardon, je sais, c'est déplacé, mais je n'ai pas pu m'en empêcher) soit un homme (presque) comme les autres, avec ses failles, ses doutes, et une certaine capacité d'auto-analyse, je veux bien l 'entendre. On est loin ici du fou sanguinaire qui tue, écume aux lèvres, tout ce qui bouge, mais quand on creuse un peu l'histoire de Ed Kemper ( vous cliquez à vos risques et périls, attention) , dont s'est inspiré Dugain, on a plus envie de prendre ses jambes à son cou que de lui faire un gros câlin. Il y a de la complaisance dans ce roman, ou en tout cas de la compréhension, une quasi tendresse qui m'a profondément perturbée. Il est presque sympathique ce géant, il aime écrire, pour recoller au train de l'humanité, il lit, parce que la lecture est la plus belle expérience humaine, mais attention, pas des polars : trop de conventions, de lieux communs, d'énigmes sans intérêt. Il est évident qu' Avenue des Géants n'en est pas un, tant mieux ou tant pis. Mais il est orienté, il passe sous silence bien des événements fondateurs de ce qu'est Al, pour nous le présenter sous son meilleur jour, futur gendre presque idéal bien que perturbé ( sans blague!), amoureux des grands espaces qu'il parcourt à moto (d'où le titre) et surtout terriblement lucide. Mais du coup, on s'ennuie ferme. On a bien vite compris ce que l'on ne nous dit pas, et ce que l'on nous dit n'a pas grand intérêt. La vérité crue et entière, voilà ce que j'avais envie de découvrir. Pas spécialement les détails sanglants, mais ces parties de récit qui nous manquent pour recomposer le puzzle qu'est Al Kenner. Et je suis restée sur ma faim. Sans doute parce que 

"Avenue des géants", Marc Dugain

PS à ceux qui l'ont lu : vous pensez que Dugain-Duigan c'est fait exprès et qu'il faut y voir une projection de l'auteur? Paronymie accidentelle ou clin d'oeil?

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J
Je partage ton ressenti : perturbée, mal à l'aise par cette espèce de complaisance de l'auteur envers ce tueur ...et contrariée par ce qui n'est pas dit ...<br /> Je pense que Dugain-Duigan est &quot;voulu&quot; ...
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L
Alors je n en suis que plus perturbée, quand on voit l attitude de ce pseudo double littéraire....
M
Mdr la référence à la Cité de la Peur !<br /> Ton avis est intéressant mais me refroidit un peu. J'ai toujours envie de le lire mais pas le courage de m'y attaquer pour le moment.
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L
Pékin. Ben voyons.
L
Plein pékin de gens l ont adoré... Je me réjouis de savoir dans quel camp tu vas te retrouver:-) &quot; la cité de la peur&quot; est un peu mon film culte....