"Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux" (Jules Renard)
8 Janvier 2014
" Une page sombre se dévoile. Des lettres blanches apparaissent progressivement pour former l'inscription "La Boîte Noire" dans un style gothique. Au centre de la page, une boîte vient de surgir. Elle est fermée. Fermée? Mais pourquoi? Non! Je veux entrer. J'ai l'impression que les concepteurs du site aiment les énigmes. OK, Sherlock, c'est parti."
Ca commence gentiment, comme un bon petit thriller classique, pas mauvais non, mais conventionnel. Tous les ingrédients sont là: un policier alcoolique abandonné par sa femme et bouffé par son travail, un vilain sérial killer qui torture ses victimes d'une façon aussi vicieuse qu'horrible, un tueur de flics qui sème la panique et décime les rangs de la Grande Famille Policière. Dernière victime en date? La collègue-et-presque-plus-que-ça de notre héros, Jeff (ben tiens, pour un habitant du Plat Pays;-)) Marnier, qui a bien du mal à s'en remettre. Jusque là, vous l'avouerez, rien de neuf sous la drache nationale. Pour se changer les idées, se vider la tête (quelle ironie quand on y pense!), il décide donc de participer à la grande rencontre mise sur pieds par le site internet qu'il fréquente, " La boîte noire". Espère de forum international rassemblant, sous des pseudos aussi divers que pathétiques, des représentants des forces de l'ordre, cette "Boîte Noire" organise la version policière de la réunion Tupperware: un gite au milieu des bois, des policiers francophones d'horizons divers, des boîtes remplies d'indices d'anciennes affaires que devront essayer de résoudre les participants. Un mélange de Cluedo grandeur nature et de soirée Carnaval version Hercule Poirot .... Une petite ballade dans la campagne belge plus tard, alors que l'on commençait tout juste à discrètement étouffer un bâillement, au détour d'une page.... Paf! Une claque! Un peu étourdi et ragaillardi par cette belle surprise, on continue la lecture et.... Paf! Paf! Paf! Les claques s'enchainent, toutes plus brutales et inattendues les unes que les autres, pour terminer dans un final version feu d'artifice du 21 juillet qui nous laisse les yeux brillants, stupéfaits de s'être fait rouler dans la farine de la sorte par un auteur qui manie la tension dramatique comme personne (ou presque).
C'est peu dire que j'ai été bluffée par ce roman. Cette histoire, c'est un peu une mise sur papier de ceci, en fait: un début discret, presque convenu, tout en douceur et en banalité, agréable, bien écrit, avec une discrète touche d'humour, mais qui va prendre au fil des pages une incroyable ampleur, un peu comme si le maître-mot de Frédéric Ernotte avait été " crescendo". Et la métaphore musicale ne s'arrête pas là, puisque comme Beethoven, l'auteur va ajouter une voix, puis une autre, puis encore une autre.... Oubliée, la simplicité du début, le récit en "je" du sympathique Jeff... C'est presque un roman choral qui s'offre à nous, puisqu'à chaque histoire dévoilée par une boîte noire, un nouveau narrateur entre en scène. C'est comme si, au sein même du roman, on se trouvait face à une succession de nouvelles, toutes différentes, tant au niveau du cadre spatio-temporel que du parti-pris narratif, mais toutes aussi réussies. C'est presque un roman gigogne, aussi, puisque tout s'emboîte (pardon, je n'ai pas pu m'en empêcher) à merveille, s'enchaine sans fausse note, avec fluidité et rapidité. C'est un peu le revers de la médaille d'ailleurs, puisque j'ai parfois été frustrée par la brutalité de l'arrêt du récit du participant, j'aurais aimé en savoir plus, presque à chaque fois, comme si ces histoires dans l'histoire auraient elles aussi mérité d'être développées, amplifiées, mise en scène autrement. Mais rien n'est laissé au hasard ici...Le train est en marche, impossible d'en descendre.
Même si l'on est en Belgique, "C'est dans la boîte" a des airs de huis clos à l'ancienne, un peu comme dans "Le crime de l'Orient-Express". Les participants à la réunion Tupperware s'apprivoisent, se tournent autour, se cherchent, se trouvent parfois, se jaugent, se mesurent, se suspectent... Une société en miniature passée au crible, un portrait au vitriol des travers humains et une analyse psychologique de haut vol ,ternie ça et là par des touches de trop "attendu", de trop "déjà vu": la nympho de service et le vieux bougonnant, je m'en serais bien passée, et l'histoire aussi. Mais le personnage de "celui que l'on n' attendait pas, et surtout pas là" nous fait vite oublier ce bémol, tant on est surpris, pris au dépourvu. L'angoisse monte, on se dit "non, quand même pas?" et pourtant.... Jusqu'à la dernière ligne on est sous tension, elle est presque palpable, on voudrait s'être trompé, alors qu'en fait, du début à la fin, ON nous a trompé....Comme la manipulation peut être douce, parfois....
Le bal des lectures "made in Belgium" est ouvert!