27 Juillet 2016
"Les choses ne se passent jamais comme prévu dans la vie, et c'est horripilant, car l'effet de surprise vous fait perdre tous vos moyens."
Bande son de circonstance : ici.
19 avril 1936. Bientôt minuit. Je vais naître dans une minute exactement. Je vais voir le jour le 20 avril. Date anniversaire de notre Führer. Je serai ainsi béni des dieux germaniques et l'on verra en moi le premier-né de la race suprême. La race aryenne. Celle qui désormais régnera en maître sur le monde. Je suis l'enfant du futur. Conçu sans amour. Sans Dieu. Sans Loi. Sans rien d'autre que la force et la rage. Je mordrai au lieu de téter. Je hurlerai au lieu de gazouiller. Je haïrai au lieu d'aimer. Heil Hitler!
Quelle étrange aventure de lecture... Le miracle de la page 279. Jusque là, franchement, j'étais en mode
Impossible pour moi d'adhérer au postulat de départ : un foetus qui "parle", qui "pense", qui raconte son histoire, c'était déjà vraiment compliqué. Mais un foetus, puis un tout petit bébé, quasi omniscient, qui jongle avec les mots vulgaires autant qu'avec les grades nazis et le langage codé...
Mais soit. Le programme "Lebensbon" ("fontaine de vie", quel humour ces nazis!), j'en avais un peu entendu parler, et j'étais "curieuse" de le découvrir de l'intérieur. Je n'ai pas été déçue du voyage. Le récit de la "conception" de Konrad, sa naissance, les innombrables "sélections" qu'il a passées haut la main pour se retrouver BPFP (Baptisé Par le Führer En Personne) (parfait petit prototype aryen) et être envoyé dans les écoles d'élite afin de devenir un soldat nazi d'élite, tout cela est "parfaitement" (oui, ce sera un billet spécial guillemets) décrit. Historiquement, ce roman est parfait, c'est vrai : il met à la portée des adolescents (n'oublions pas que c'est un texte "jeunesse") une part oubliée de la terrible histoire du nazisme, une part d'ombre, une réalité cruelle qui nous est présentée sans fard ni artifice. Et pour ça, chapeau. Mais. Jusqu'à la fameuse page 279, j'ai été confrontée à un sacré problème : j'ai détesté le narrateur. J'ai détesté un foetus, puis un bébé, puis un enfant. Terrible, non? Et j'ai détesté le détester. Le truc, c'est que Konrard est l'Enfant Réussi du programme, un enfant sans autre famille que l'Allemagne et son Führer, un enfant qui n'a jamais connu l'amour d'une mère (ou plutôt qui l'a connu si peu que...), conditionné dès son premier souffle, et un tel condensé d'inhumanité avec une voix (et encore parfois une "innoncence") d'enfant, ça m'a glacée. Vraiment. Froid dans le dos. Froid dans le coeur. Froid dans la tête. Froid partout. Et j'avais beau me répéter que ce n'était qu'un parti pris littéraire, osé mais réussi, certaines pages (notamment l'opération "copain") m'ont vraiment retourné les tripes d'une façon très (trop) désagréable. Et puis, page 279.
Un léger, tout léger vent d'"humanité" souffle enfin sur cette histoire. "Lukas" arrive et tout change. Lukas, ce gamin juif déguisé en Allemand dont l'histoire familiale a mouillé mes yeux (fort fort), ce gamin aussi déterminé et froid que son futur "petit frère" et qui va réussir à faire vaciller les certitudes de Konrad, dans une aventure dont personne ne sortira indemne, surtout pas le lecteur, d'ailleurs.
J'ai refermé ce roman en me demandant si je l'avais ou non aimé, au final. Puis je me suis dit que pour avoir ressenti des choses aussi fortes en en tournant les pages, c'est que quelque chose s'était passé. Quoi? Je ne sais pas. Mais Konrad me hantera longtemps je crois, comme un souvenir dérangeant dont on n'arrive pas à se défaire. J'imagine que c'était le but. Mais je vous laisse, maintenant, j'ai juste envie d'aller faire un tour d'arc-en-ciel sur ma licorne magique (un peu de douceur dans ce monde de brutes). Salut Tête de Mort!