"Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux" (Jules Renard)
12 Août 2015
Au risque de me répéter, la Bible Internet ne rend pas service à Donna Tartt. Comme pour Le Maîtres des illusions (mon billet ici), les résumés sont bien trop bavards, la classification hasardeuse, et (quitte à passer pour une intello-qui-se-la-pête) je ne pense pas que la plupart des avis rendent vraiment justice à ce roman : ça ne ressemble à rien. Où est le fil rouge? Il n'y en a pas, et c'est ça qui le rend grandiose. C'est un texte exigeant, comme le précédent, c'est un texte qui doit se laisser apprivoiser, et il faut accepter d'être parfois perdu pour l'aimer. Mais une fois que l'on commence à tourner les pages, la magie opère à nouveau.
Lire Tartt, c'est être envouté, hypnotisé par son écriture, au point de se moquer éperdument d'où va l'histoire : on se laisse porter, et c'est très bien ainsi. A la lecture de ce roman, j'ai vécu de longues heures dans la chaleur moite des bords du Mississippi (quoi? Vous aussi vous pensez à ça?), j'ai senti l'haleine chargée d'alcool des Ratliff, j'ai sursauté lorsqu'un serpent m'a frôlée, j'ai été immergée jusqu'au cou, dans les mots et dans la cuve, et j'en suis ressortie le coeur au bord des lèvres, moi aussi. Bien sûr, il y a des longueurs, l'auteur elle-même en est consciente et l'assume (J’ai essayé d’écrire plus court et plus vite mais ça ne m’a pas intéressée, alors tant pis si ça en rebute certains, c’est comme ça) mais ce sont des longueurs et des digressions nécessaires, parce qu'elles participent au processus d'immersion, elles vous entourent et vous enserrent, elles font que vous ne pouvez plus détacher vous yeux de ce livre, quand bien même vous êtes en train de vous demander
Difficile de répondre à cette question. C'est l'histoire d'Harriet, une gamine qui grandit dans l'ombre d'un frère assassiné lorsqu'elle était bébé, entourée par une mère sous médocs, une soeur avec qui elle partage un chambre (et rien d 'autre), une grand-mère et des grand-tantes très comme il faut, une gamine qui mène son monde à la baguette, qui n'a pas sa langue en poche et qui décide, un beau jour de se donner comme mission de trouver le responsable de la mort de son frère. Enfin, c'est ce qu'on voudrait nous faire croire, mais c'est réducteur, ô combien, et très éloigné de l'essence même du texte (oups je crois que je m'emballe). On se moque de savoir qui a tué Robin, finalement, on se moque même de cette pseudo enquête menée par des detectives en herbe, l'important est ailleurs. L'important c'est Harriet.
Un personnage pareil, croyez-moi, on n'en rencontre pas souvent. Une petite peste, pleine de défauts, qui pue et qui répond, absolument pas sympatique et pourtant... On pourrait dire que c'est un roman sur la fin de l'enfance, ou sur l'enfance à jamais brisée, ou sur la perte de l'inocence (mais innocente, Harriet ne l'a jamais été). On pourrait dire que c'est un roman sur le Sud profond, arriéré et désespéré, avec ses prédicateurs charmeurs de serpents et ses salles de billards pleines d'alcooliques belliqueux. On pourrait dire que c'est la quête d'un coupable, ou la chronique d'une famille de tarés décérébrés (et dangereux). On pourrait dire tout ça, oui, et rien ne serait tout à fait faux. Mais rien ne serait tout à fait juste non plus. Il est plus simple de dire que Le petit copain, c'est glauque, bouleversant, hypnotique, noir, poétique, c'est un roman sans espoir, c'est un roman qu'il vous faut lire, croyez-moi.