La Fée Lit

"Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux" (Jules Renard)

"Contrecoups", Nathan Filer

"Contrecoups", Nathan Filer

"Je dois faire très attention. Tout déplier avec précaution, pour me rappeler comment replier en cas de débordement. Et, chacun le sait, le meilleur moyen de bien plier quelque chose, c'est de suivre les plis qui existent déjà."

Matthew a 19 ans, et c’est un jeune homme hanté. Par la mort de son grand frère, dix ans auparavant. Par la culpabilité. Et surtout par la maladie mentale dont il souffre, la schizophrénie… "Je vais vous raconter ce qui s’était passé, parce que ce sera l’occasion de vous présenter mon frère. Il s’appelle Simon. Je pense que vous allez l’aimer. Vraiment. Mais d’ici quelques pages il sera mort. Et, après ça, il n’a plus jamais été le même."

Il est des livres que l'on ouvre à reculons. Des livres que l'on a peur de commencer, parce qu'on ne les croit pas "pour nous", ou, au contraire, parce que l'on en attend tellement que l'on redoute la déception. Contrecoups fait partie de ceux-là. Je suis presque honteuse d'avoir mis autant de temps à le découvrir : il me plaisait déjà beaucoup sans l'avoir lu, mais une fois ouvert, j'ai été foudroyée. Je ne sais pas si ce livre est fait pour moi, mais je sais que j'étais faite pour lui. J'étais faite pour Mattthew ( son serpent, sa machine à écrire, ses dessins, ses faiblesses, son égoïsme et son incroyable lucidité, parfois), pour Nanny Noo ( ses fameuses "boissons pétillantes" et son amour absolu, sans faille, sans retenue et sans jugement), pour Susan et Richard ( les parents imparfaits mais tellement réalistes, à côté de leurs pompes mais dont la moindre pastille pour la gorge déborde de cet amour dont ils ne savent plus quoi faire), pour cette phrase écrite sur un mur fraîchement repeint ( qui m'a serré la gorge et piqué les yeux), pour " J'arrive. On va jouer pour toujours", pour Simon aussi ( sans doute assis par terre, devant le canapé, son doudou dans les bras, avec son visage souriant qui ressemblait à la lune, personnage absent mais dont la présence irradie chaque page du roman), pour une poupée enterrée et une petite fille désagréable, pour Steve-le-pro-de-l'informatique et Jacob-l'ami-pas-recommandable-mais-on-a-les-amis-que-l'on-mérite ( et quoi qu'on en dise, je serais ravie de compter Jacob parmi les miens), pour ces lettres touchantes et presque enfantines qui en disent plus long que le plus long des discours, pour cet humour-là ( véritable politesse du désespoir ), ces mots-là, ces silences-là.

"Contrecoups", Nathan Filer

Et Contrecoups  risque de m'accompagner longtemps. Vous lirez un peu partout que c'est un roman difficile, un de ceux avec lequel ça passe ou ça casse. C'est vrai. C'est un livre qui demande d'abandonner ses codes et ses habitudes de lecteur, d'accepter de suivre un serpent qui se mord la queue et qui vous emmène Dieu sait où ( Dieu peut-être, parce que Matthew lui-même ne le sait pas). Il faut accepter de fermer les yeux, de prendre la main de Matthew et de l'accompagner dans son histoire, ses souvenirs et son présent, dont on ne sais jamais bien s'il est réel et non, mais qu'importe, lui non plus ne le sait pas : On a tous en nous un mur qui sépare les rêves et la réalité, mais le mien est fissuré. En se tortillant, en se faisant tout petit, les rêves arrivent à passer au travers jusqu'à ce que je ne puisse plus bien faire la différence. Il faut accepter d'être secoué, un peu perdu, il faut oublier ses repères et ne pas chercher à comprendre l'incompréhensible : si Matthew n' y arrive pas lui-même, comment le pourriez-vous?

C'est un livre difficile, en effet, par sa narration hâchée, balbutiante, servie par une mise en page déroutante, mais par sa thématique aussi, évidemment : la maladie mentale, ses répercussions sur l'entourage, la médication et l'enfermement, puis surtout le choix du point de vue : on est dans la tête de Matthew, et croyez-moi, à côté de l'esprit du jeune homme, Waterloo après la défaite, c'était du pipi de chat.

"Contrecoups", Nathan Filer

C'est un livre difficile aussi, et surtout, si vous avez accepté de baisser la garde et de vous laisser emmener, par la puissance des sentiments qu'il va vous faire ressentir. Matthew quitte très vite les pages du roman pour s’immiscer dans votre cœur, et le serrer, le serrer, le serrer tellement fort que les larmes vous montent aux yeux. Mais c'est un privilège que d'être touché aussi fort par un personnage de roman, et je vous souhaite d'être aussi bouleversé que moi lorsque vous rencontrerez Matthew. Ce livre, c'est une 

"Contrecoups", Nathan Filer

Il faut avoir le cœur bien accroché, mais le résultat final est juste

"Contrecoups", Nathan Filer

Un immense merci aux éditions Michel Lafon qui m'ont donné la chance de découvrir ce roman qui, je l'espère, aura dans sa version française le succès qu'il mérite.

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F
Il vient de sortir en poche :-)<br /> Et je me le suis offert, je ne compte pas l'attaquer tout de suite, mais il est là.
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L
Ne tarde pas trop, c est une lecture très forte, tu vas adorer!
J
Tu parles très bien de ce livre et tu donnes très envie. Ce n'est pas forcément le genre de lecture que je recherche actuellement, mais je le garde en mémoire pour plus tard.
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J
Ah, s'il n'est pas déprimant, il remonte dans ma pile :)<br /> Tu m'intrigues, je le lirai bientôt !
L
Ce n'est pas tout léger en effet, mais ce n'est pas déprimant pour autant :-)
J
Un livre qui ne laisse personne indifférent, c'est déjà énorme. Pour autant (et malgré ton très beau billet) je ne suis pas certain qu'il soit pour moi.
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L
Disons que c'est assez différent des galipettes entre filles ;-)
M
Superbe billet pour un très beau roman :)
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L
Merci madame!
J
Le billet de Cajou m'avait déjà donné envie de découvrir ce roman .... Le tien vient renforcer ce sentiment ... Une lecture qui ne sera pas pour tout de suite car j'ai des envies de légèreté ...:-)
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C
Jacqueline, je suis persuadée qu'il devrait te toucher :)
L
Oh oui tu dois le lire, je suis certaine que tu seras touchée en plein cœur! Merci pour ta lecture toujours attentive, Jacqueline!